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Témoignage d'Alphonse Poncet (25-06-1847 / 01-10-1936, 89 ans), rescapé de l'Armée de Bourbaki

Incorporé au 14e régiment de mobiles, Alphonse Poncet participe avec l'Armée de Bourbaki à la campagne de 1870-1871 : après la tentative de levée de siège de Belfort (début janvier 1871), il assiste à la retraite sur Besançon et au replie sur la Suisse. Alphonse Poncet est alors interné au camp de Kirchdorf (entre Berne et Thoune). Voici la lettre qu'il adresse à ses parents le 14 février 1871, lettre dans laquelle il détaille son vécu du désastre de l'Armée de l'Est.
Grand merci à Michel Mauny, arrière-petit-fils d'Alphonse Poncet, pour la communication de l'ensemble de ces documents et son autorisation de diffusion.

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Kirchdorf en Suisse 14 février 1871

Mon père et ma mère

Je vous écris aujourd'hui pour vous apprendre que je suis prisonnier de guerre à Kirchdorf, canton de Berne, en Suisse.

Je ne vous ai pas écrit depuis Chassagne près de Beaune [alors] que nous sortions de Lyon. De là, nous avons retourné à Besançon, nous avons passé par Bourg-en-Bresse, nous avons resté deux jours en chemin de fer, la ligne était encombrée de trains et nous avions pas de vivres. À Besançon nous avions (sic) [avons] resté une vingtaine de jours. De là nous sommes venus en dessus Belfort en passant par Rougemont et dans des pays [où] on voye ni trouvait pas de vivres. On donnait pour distribution un biscuit par jour avec du lard mais souvent les distributions manquaient. Pour du pain, on en avait jamais pour racire, on en avait gros comme le poing chacun.

Je ne peux vous dire tous les pays où nous avons passé depuis Bourg où il y avait 50 centimètres de neige la seconde fois que nous y avons passé. Jusqu'à aujourd'hui elle nous a pas quitté qu'aujourd'hui. Où nous sommes, le temps se radoucit et elle fond.

Nous avons été en poste avancé au petit village qu'on appelle La Chapelle deux trois jours par un froid cruel à deux kilomètre des Prussiens. On s'esquivait la nuit dans les maisons malgré les chefs pour ne pas périr de froid. De là nous [vons] marché en avant, en arrière garde, où les bombes nous sifflaient aux oreilles et s'abattaient dans nous. Il fallait se coucher à tous moment. Pendant la journée, le sac ne quittait pas notre dos et dans la neige tout le temps, on éprouvait du désagrément tous, par manque de vivres et de nécessités. Le brin de biscuit que nous avions eu ne nous soutenait pas. Avec le peu d'argent qu'on avait, on achetait des pommes de terre car pour du pain et du vin, le pays était écrasé de troupes, on ne pouvait rien trouver avec de l'argent. Nous avons été à deux lieux de Belfort, à Héricourt, à Arcey où nous étions dans une petite vallée pour nous cacher de l'ennemi, où tout notre régiment était. L'ennemi était derrière la rivière, étant paré de la ligne de chemin de fer où il était embusqué.

Le premier bataillon et le deuxième ont cherché à sortir. L'ennemi a vu notre position, nous a envoyé des bombes, nous ne pouvions ni avancer ni reculer, il fallait rester dans le vallon en attendant les bombes qui tombaient sur nous. Nous étions à 5 mètres d'eux. Les aumôniers sont venus vers les morts et les blessés. On les transportait où on pouvait avec nos toiles de tentes et nous avons attendu la nuit pour nous retirer. On en voyait beaucoup qu'on croyait morts qui étaient couchés dans la neige craignant d'être atteints par les bombes. Pas un de ma compagnie n'a été atteint. Pendant ces jours là nous avons couché dans la neige six jours. On se retirait dans les forêts où l'on faisait fondre la neige pour se faire la soupe et se faire boire car l'on restait où l'on se trouvait. Beaucoup ont eu les pieds gelés. Moi, j'ai les pieds enflés, je n'ai pu suivre le bataillon et on ne pouvait pas avoir de billet d'ambulance. J'ai eu la fièvre pendant une quinzaine de jours. La majeure partie était comme moi, l'on a battu en retraite. Nous suivions le bataillon comme nous pouvions à 2-3 lieux derrière. Nous ne touchions ni vivres ni prêt quoique malades. Nous marchions tous les jours, craignant de nous trouver prisonniers.

J'ai passé à Saint Hippolyte, Maîche, Pontarlier dans le département du Doubs où on ne voit uniquement que des montagnes et des rochers. J'ai couché une nuit à Pontarlier, la fièvre me dominait, les Prussiens allaient rentrer dans la ville. Je me suis trainé comme j'ai pu toute la nuit du côté en dessus la Suisse où j'ai entré le 2 avec un corps d'armée où l'on nous a désarmés.

Je suis obligé de terminer ma lettre à cours. Je vous marquerai le reste plus tard. Voilà un long bout que je n'ai plus d'argent, je vous prie de m'envoyer une cinquantaine de francs de suite ou en deux fois pour ne pas hasarder tout, car il me faut pour me rapproprier et me vêtir et pour me traiter car on a tous rentré en Suisse en désordre. Je suis cantonné à Kirchdorf dans un village près de Berne dans la Suisse allemande. J'ai entré en Suisse le 2 février à L'Auberson-Sainte Croix. J'ai passé à Peney, Yverdon, [non lisible], Moudon, Romont, à Matran, Fribourg, Berne.

Rien de plus à vous marquer pour le moment. Pour le présent, je ne vous marque plus rien, je ne suis pas bien portant aujourd'hui mais j'espère que ça prendra. Souhaitez le bonjour donc à tous mes parents.

Votre fils qui vous aime. Poncet Alphonse

Mon adresse : Monsieur Poncet Alphonse du 14ème régiment de mobile à Kirchdorf. Canton de Berne en Suisse.

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[Retranscription de Michel Mauny, arrière-petit-fils d'Alphonse Poncet.]

Première page de la lettre adressée par Alphonse Poncet à ses parents
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